Une catastrophe écologique
L'espèce humaine est à l'origine d'innombrables catastrophes écologiques. Parfois elles sont ponctuelles: marées noires, inondations, destructions d'habitats, essais et accidents nucléaires, accidents industriels (ex: Bhopal). D'autres résultent d'un processus long de quelques décennies à plusieurs siècles: c'est le cas du trou dans la couche d'ozone, l'érosion et la pollution des sols dûe à une agriculture intensive, mais aussi la diminution massive de la biodiversité et l'augmentation du taux d'extinction des espèces, la déforestation, l'effondrement des colonies d'abeilles, le réchauffement climatique, les problèmes d'accès à l'eau potable... Les dangers sont légions et tous plus effrayants les uns que les autres. Par bien des aspects, la catastrophe n'est plus seulement annoncée, elle est déjà en cours.
Certes, les catastrophes écologiques sont parfois “naturelles”, non provoquées par l'espèce humaine (séismes, tsunamis, éruptions volcaniques). Mais celles-ci sont plus rares, le plus souvent localisées, et nous ne pouvons rien pour les empêcher. D'autrepart, nous y sommes habitués depuis longtemps déjà et elles ne sont pas responsables de la crise écologique actuelle. En revanche, ces catastrophes naturelles risquent bien d'augmenter en fréquence et en intensité, sous l'effet du réchauffement climatique. L'impact de l'humain sur son environnement est donc au centre de nos préoccupations, car il est globalisé, terrible en conséquences, et encore modifiable (mais nous devons agir très vite).
Ce constat de la crise écologique dûe à l'espèce humaine est partagé par une large partie de la société, de la communauté scientifique et des personnalités politiques. Les causes sont elles aussi clairement identifiées. Citons pêle-mêle l'agriculture, l'industrialisation, l'urbanisation, l'accès des voies de communication, l'industrie automobile 1 2, la culture de consommation ou encore les guerres 3
Les conséquences d'une catastrophe écologique peuvent être monstrueuses. L'accident de Tchernobyl a causé un million de morts humaines, sans compter les morts animales et végétales, la perte d'un énorme territoire autour de la centrale, des bébés déformés à la naissance, etc. Avec le danger nucléaire (dont Fukushima et la course à l'armement mondial nous rappellent encore aujourd'hui l'urgence), la deuxième grande menace est le réchauffement climatique (sans oublier l'extinction massive des espèces vivantes, dont la disparition des abeilles, vitales pour la survie humaine).
“Un réchauffement global pourrait entraîner l'inondation des deltas asiatiques ([causant des migrations importantes d'écoréfugiés]), la multiplication de phénomènes climatiques extrêmes et l'évolution de la nature et de la quantité des ressources alimentaires à la suite des impacts sur l'activité agricole.” 4 Un tel scénario inclue hélas encore plus de famines et de guerres...
“Si une crise écologique peut être à l'origine d'extinction, elle peut aussi réduire la qualité de vie des individus restant en vie. Ainsi, même si la diversité de la population humaine est parfois considérée menacée (voir en particulier les peuples indigènes), peu s'accordent à envisager la disparition de l'espèce humaine à court terme. Cependant, les maladies épidémiques, les famines, l'impact sur la santé de la dégradation de la qualité de l'air, les crises alimentaires ([Il existe 28.000 espèces de poissons sur terre, si on continue à ce rythme, entre la pollution et la pêche intensive, d'ici 2050 ils auront tous disparus]), la disparition des milieux de vie (“écoréfugiés”), l'accumulation des déchets toxiques non dégradables, les menaces de disparitions d'espèces phares (telles les grands singes, le panda, la baleine)... sont aussi des facteurs impactant également le bien-être des gens.” 4
La communauté scientifique nous avertit: les décennies à venir seront cruciales. Le réchauffement climatique et la fin du pétrole doivent absolument être pris en compte dans notre projet de société, et ce n'est qu'un début.
La place du travail dans la crise écologique
“Les causes de la crise écologique actuelle semblent être le produit du développement de plusieurs facteurs, dont il est difficile d'établir et de dater les causes. Il est cependant acquis que l'activité de l'espèce humaine en est la première explication.” 4
Or, quand on parle de l'activité de l'espèce humaine, on parle essentiellement du travail. Et cela fait longtemps que l'humain aime bosser. On peut situer les débuts de notre influence sur l'environnement aux prémices de l'agriculture, au néolithique. Un exemple d'impact ancien est la déforestation, entamée depuis plusieurs siècles déjà.
Un impact physique croissant
Mais notre impact a commencé à se faire sentir très fort avec l'industrialisation et l'utilisation massive des hydrocarburants. Aujourd'hui, ce sont les pays du Sud qui s'industrialisent pendant que les pays du Nord ne réduisent pas leur impact (ils la délocalisent simplement, en construisant leur matériel “high tech” en Chine, et en l'abandonnant quelques années plus tard dans les pays africains, dans des déchetteries en plein air).
Les impacts matériels de notre mode de vie sont clairement visibles: de l'extraction des ressources, à la production, le transport, la consommation, la pollution, les déchets... Pour une présentation ludique des dégâts causés par le cycle de vie des petites “choses” de notre consommation courante, voir cette courte animation: L'Histoire des choses.
Le calcul de l'empreinte écologique nous apprend que si tout le monde consommait autant qu'un Français, il faudrait disposer de 2,5 planètes. Or la mondialisation de l'économie ne fait que globaliser notre fonctionnement, ce qui est loin d'être soutenable.
L'impact idéologique
Les impacts matériels sont visibles, grossiers même, pourtant nous ne les voyons que trop rarement. C'est que le travail a sur nous des impacts que l'on pourrait qualifer d'”immatériels”, mais tout aussi néfastes écologiquement. A commencer par l'aspect terriblement déresponsabilisant du boulot: on doit travailler, quel que soit ce travail. Puis on doit obéir à sa hiérarchie, au client, aux actionnaires, et ainsi de suite, peu importe l'éthique de ce qu'on produit, comment on le fait et pourquoi. La finalité nous échappe totalement, nous ne sommes donc pas responsables de l'impact écologique. Ce phénomène est illustré par la publicité: seul l'aspect positif de la marchandise nous est présenté, en nous dissimulant tous les impacts écologiques et socio-culturels de sa production et de sa consommation.
Ce qui nous mène à la fascination du progrès, engendrée et maintenue par la publicité et l'idéologie du travail, entre autres. Fascination qui fleurit dans un contexte moral productiviste du “Travailler plus pour gagner plus”, d'une religion de la croissance incompatible avec la réalité physique (voir à nouveau l'empreinte écologique). Une conception utilitariste du monde, un comportement individualiste et infantile et l'omniprésence de la société de consommation sont aussi coupables de la crise actuelle, et largement entretenus par le travail. A cause du fléau-travail, c'est notre propre perception du monde, et de nos vies, qui participe à la fuite en avant désespérée du capitalisme.
Si le travail épuise les ressources naturelles, pollue notre environnement, est responsable de l'extinction massive des espèces et met en péril la survie des générations futures, ce n'est pas uniquement à cause de ses effets destructeurs sur nos subjectivités, et nos visions du monde. Les choses seraient simples alors, il suffirait d'une “révolution des consciences” pour nous sortir de l'impasse.
Une “révolution des consciences” insuffisante
Hélas, le mode d'organisation, le système politique/économique ne peut que nous mener dans le mur s'il ne change pas rapidement. Lorsqu'on souhaite s'enrichir dans ce système inefficace à souhait, non seulement on doit appauvrir des centaines de milliers de personnes, mais on doit aussi dégrader notre environnement de manière aggravée. Le rapport 2006 de la WWF sur l'empreinte écologique établit un lien direct entre la production de richesses au sens monétaire et la dégradation de l'environnement: les pays à bas revenu ont une empreinte à peu près stable depuis 1990, alors que l'empreinte des pays à hauts revenus a augmenté de 18% sur la même période.
Il paraît alors bien compliqué de produire des richesses tout en préservant la planète, à la simple vue de ce chiffre. Mais il faut nous mettre d'accord sur la signification de ce mot fourre-tout (encore un): le mot “richesse”. Dans le mode de fonctionnement actuel, même une pollution est une richesse, car elle peut créer de l'emploi et du profit. D'ailleurs, cette même pollution n'est jamais prise en compte dans les bilans économiques d'une entreprise, elle n'est qu'une “externalité”. Cela ne la concerne pas, ne lui coûte rien. Alors tant qu'on peut gagner de l'argent en polluant, il y aura toujours quelqu'un pour le faire, peu importe la “révolution des consciences”.
Au niveau politique, les décisions sont prises par la classe dominante, la classe la plus riche. Or, celle-ci a tout intérêt à garder le statut quo, et perpétuer un système qui creuse les inégalités, peu en importent les conséquences écologiques qui de toute façon toucheront plus sévèrement les pauvres que les riches. Alors, plutôt que de ralentir, ce qui obligerait un meilleur partage des richesses, le choix est fait de pousser toujours plus loin l'idéal productiviste: tout le contraire d'un choix rationnel et démocratique.
Enfin, puisque nous évoquons le sujet de la décroissance, répondons de suite à deux lieux communs fort répandus. Le premier est de croire que le progrès technologique nous sortira de la crise. C'est là un pari risqué, dont les résultats sont bien moins sûrs et prévisibles qu'une décroissance maîtrisée. D'autant plus que les implications des innovations technologiques sont de plus en plus complexes, et donc de moins en moins maîtrisables, et que les conséquences sociales sont souvent néfastes 5. Ensuite, lorsqu'on pose le débat de la sortie du nucléaire, de la décroissance, ou de l'écologie en général, la même plainte revient à coup sûr: “vous voulez détruire des millions emplois!”.
Faire du chantage à l'emploi pour des questions aussi gravissimes que le nucléaire est une méthode assez douteuse, premièrement (surtout que les mêmes politiques ne pleurent pas autant pour les délocalisations d'usines). Mais, plus important, cela nous amène encore une fois encore à la centralité de la valeur travail.
Et si ces emplois perdus étaient compensés par la création d'emplois moins nocifs (le démantèlement des centrales par exemple)? Mais surtout, imaginons que le travail ne soit pas forcé, le problème de l'emploi serait alors beaucoup moins grave. Les personnes mises au chômage ne se retrouveraient pas dans la misère. Elles auraient de plus un véritable choix quant à leur activité future, et ne seraient pas obligées d'accepter n'importe quel job, quelles qu'en soient les finalités, ou les moyens de production. Nous laisser le pouvoir de décider de l'orientation de notre vie, de nos activités, voilà non seulement qui est légitime, mais aussi responsabilisant. Cela permettrait aussi de produire moins, de nous mettre d'accord collectivement et démocratiquement sur ce qui doit être fait, comment, pourquoi et par qui.
Conclusion
Une critique écologiste du travail doit donc être à la fois quantitative et qualitative. Nous devrions travailler beaucoup moins 6, en nous concentrant d'abord sur l'essentiel. Mais aussi utopique que cela puisse déjà paraître, cela ne serait pas suffisant. La qualité même du travail doit changer, en un mot, il ne doit plus être forcé. Il faut abolir le travail aliéné, répétitif, abrutissant et déresponsabilisant. Les choix de production ne doivent plus être soumis à la logique du profit, et les décisions prises de manière totalitaire.
A un niveau plus profond, la valeur travail et l'habitude consommatrice doivent sortir de nos têtes. Nous devons redécouvrir nos véritables identités, en dehors de ce monde périmé. Alors, nous serons des êtres humains authentiques et libérés, capables à nouveau de choisir la coopération plutôt que la concurrence gaspilleuse. Finalement, une revendication écologique sur le thème du travail pourrait être l'abolition du droit à l'emploi, et sa substitution par le droit d'exister.
- 1. Selon l'Institut de Veille Sanitaire, entre 1996 et 2004 "le nombre annuel moyen de blessés (toutes gravités) serait de 514.300, dont 41.000 piétons, 56.000 cyclistes, 120.000 usagers de deux-roues motorisés et 277.000 automobilistes. Sur l’ensemble de ces blessés, chaque année, près de 7500 présentent des séquelles majeures (les tués sont au nombre de 7400 par an, en moyenne, sur cette même période)." ("Communiqué de presse : Sur les routes françaises, autant de blessés avec séquelles majeures que de tués")
- 2. Les impacts environnementaux des transports routiers sont nombreux. Ils concernent l'air, l'atmosphère planétaire et le climat et les microclimats, l'eau, les sols, la flore, la faune et la fonge, l'intégrité éco-paysagère, le bruit et la santé humaine. (Wikipedia)
- 3. “lors du conflit armé entre les États-Unis et le Viêt Nam du Nord, les américains utilisèrent un défoliant, l'agent orange (contenant de la dioxine), dans l'objectif de détruire, la forêt dans laquelle se cachaient les combattants, ou les rizières qui les nourrissaient. La dioxine déversée à l'époque s'est accumulée dans les chaînes trophiques et est encore responsable, 40 ans plus tard, de la naissance d'enfants anormaux, sans membres, voire sans crane ou sans cerveau. Les herbicides utilisés auraient également détruit 2 millions d'hectares de forêts et 500 000 hectares de mangroves remplacés par des savanes.”, Wikipedia
- 4. a. b. c. Wikipédia
- 5. Ce sujet est couvert dans notre texte sur le Progrès.
- 6. Travailler deux heures par jour, par exemple, comme nous le proposait le collectif Adret en 1977.