Travailler une heure par jour

En 1977, le collectif Adret publiait un livre sobrement intitulé “Travailler deux heures par jour”1. La démonstration était faite, économiquement, qu'il était possible que nous travaillions toutes et tous deux heures par jour, tout en maintenant le même niveau de vie. Plus récemment, le collectif Bizi a publié “Travailler une heure par jour” 2, qui reprend les mêmes idées, en actualisant la démonstration économique avec les statistiques récentes.

"Nous disons donc qu'il est possible de travailler moins tout en gardant le même niveau de vie. Et même, plutôt que de travailler quelques 7 ou 8 heures par jour, il semble possible de ne travailler qu'une heure. Comment ? On peut imaginer quatre manières de diminuer le temps que chacun consacre au travail contraint :

  • réduire la production
  • transformer une partie du travail socialisé en travail privé
  • augmenter la productivité
  • augmenter le nombre de ceux qui prennent part au travail contraint." 2

Le livre est en libre téléchargement ici. Ci-dessous un très bref résumé de ce document.

1- réduire la production

a) réduire les inégalités : une répartition plus juste des richesses permettrait de réduire la production tout en augmentant le niveau de vie des plus pauvres
b) réduire les gaspillages : projets pharaoniques (aéroport Notre Dame des Landes), mais aussi gaspillages quotidiens, comme les emballages inutiles
c) augmenter la durabilité des objets produits (appareils électro-ménagers, meubles, divers véhicules, etc) : lutter contre l'obsolescence programmée et l'obsolescence perçue (le marketing).

2- transformer une partie du travail socialisé en travail privé

a) Le travail, un fait ambivalent
Les auteurs distinguent plusieurs types de travaux : le travail contraint, le travail libre, le travail socialisé, et le travail privé.

- "Nous appelons donc travail contraint l'ensemble des travaux qu'une société pense indispensable à son fonctionnement. Souvent, ce travail est pénible, fatiguant et aliénant."

- "Le travail libre est celui qui ne répond à aucun impératif physiologique. C'est celui auquel on s'adonne lorsque nos besoins vitaux sont satisfaits." (philosophie, politique, art, science, artisanat...) "On le voit, travail libre n'est pas une simple occupation dont l'utilité pour celui qui la pratique et pour la société est nulle."

"Le travail socialisé est celui qui est organisé publiquement." "Le travail socialisé est issu de la division du travail et est composé dans nos systèmes capitalistes de l'ensemble des tâches réalisées dans le cadre du marché du travail (ou des biens et services dans le cas de l'artisanat). C'est celui qui aujourd'hui donne droit à une rémunération."

"Le travail privé est celui qui est géré par un individu seul ou un groupe d'individus. Les règles qui en définissent le fonctionnement ne valent que pour ce sous-ensemble et ne sont connues que par ses membres."

b) Diminuer le travail contraint socialisé : c'est "le plus pénible, et surtout le plus aliénant". Diminuer ce travail, "c'est tout d'abord en transformer une partie en travail privé". "Pourquoi ? Parce que cette transformation permettrait de partager le travail pénible et permettrait à chacun de se réapproprier une partie du temps consacré aux besoins primaires."

"Prenons l'exemple du pain.
Alors que l'ouvrier de l'usine agro-alimentaire est soumis au rythme et à la pénibilité de la machine, et que le boulanger est contraint à des horaires chargés pour assurer sa production, on pourrait imaginer qu'en dotant chaque foyer d'un four spécialisé, on puisse diminuer d'autant le travail contraint de notre ouvrier et de notre boulanger. Ce dernier pourrait en plus se consacrer à un travail plus spécifique : celui de l'art culinaire, par exemple (pâtisseries...). Bien sûr, pour que chaque foyer soit équipé de fours spécialisés, il faut qu'un système de production de ces machines soit mis en place. Ici donc, un travail socialisé semblerait nécessaire pour profiter des gains de productivité. Mais il serait quand même possible de « privatiser » une partie au moins de la production de ces machines en rendant par exemple leur entretien accessible au plus grand nombre. Cette proposition va de pair avec celle concernant la durabilité des biens. Rendre les machines réparables, c'est-à- dire permettre à chacun de réparer au maximum ses propres machines (dans la mesure où cela reste relativement simple), c'est diminuer le temps de travail concret socialisé, c'est-à-dire celui consacré ici à la réparation des machines des autres, pressé par des impératifs qui ne sont pas ceux du travailleur (puisque ce sont ceux du « client »). De plus, maîtriser sa production (ici de pain), c'est se réapproprier son corps et sa vie en connaissant au maximum les ingrédients qui entrent dans la composition de notre alimentation ou les éléments qui constituent une machine. Maîtriser au maximum son temps de travail contraint, c'est atténuer la rupture entre divers phases d'activité. Aujourd'hui, la rupture est de plus en plus brutale entre temps de travail aliénant (temps soumis au capital) et temps de loisir aliéné (basé sur la surconsommation de biens et services... Temps soumis aussi au capital). D'une séparation nette entre temps de simple production soumis à des contraintes extérieures à soi et temps de simple consommation (souvent soumis à des contraintes extérieures à soi), on pourrait passer à un temps plus « complet » dans lequel l'individu pourrait réaliser plus pleinement son humanité : produire le nécessaire à sa vie en fonction de ses propres besoins en étant au maximum maître de lui-même, de sa vie."

3 - augmenter la productivité

Les gains de productivité permettent de produire plus avec autant, ou encore de produire autant avec moins. Or, la question de la productivité est épineuse, car elle se fait souvent au dépens des conditions de travail. Ce qui est proposé ici est de gagner en productivité, grâce à de meilleures conditions de travail, et non au détriment de celles-ci.

a) Mettre à profit la diminution du temps de travail
"Différentes études ont montré que sur un temps de travail relativement long, la productivité des dernières heures travaillées était plus faible que celle des premières" : la routine, l'ennui, la fatigue nerveuse ou physique sont autant d'explications plausibles...
"Ainsi, si on inverse le raisonnement, on peut dire que diminuer le temps de travail entraîne certes une réduction du niveau de production global, mais pas proportionnellement à cette diminution."

b) Tirer parti de la réorganisation du travail
"Christian Baudelot et Michel Gollac ont mis en évidence un lien statistique entre le sentiment d'avoir de mauvaises conditions de travail et le retrait par rapport à ce même travail."
"Cependant, on pourrait imaginer que chaque lieu de travail soit géré démocratiquement, c'est-à-dire que toute personne qui y exerce une activité y ait un droit de parole et de vote lorsque se décident les grandes orientations ; que chaque travailleur/se puisse bénéficier au même titre que les autres des fruits de son travail ; que tout lieu de production soit celui de ceux/celles qui y travaillent. Le rapport au travail serait différent de ce qu'il peut être aujourd'hui. Et de la même façon qu'il existe une corrélation entre dégradation des conditions de travail et hausse de l'absentéisme ; de la même façon que, de plus en plus, les entreprises et les experts s'intéressent aux coûts économiques des mauvaises conditions de travail pour augmenter leurs profits, nous pensons qu'une nouvelle organisation du travail est possible et entraînerait des gains de productivité assez importants."

"Ainsi, par ces deux moyens (diminution du temps de travail et réorganisation du travail), mais auxquels il serait pertinent d’ajouter le progrès technique, il est possible d'obtenir des gains de productivité tout en améliorant les conditions de travail."

4 - Accroître la main-d’œuvre active

"seulement 40 % de la population totale possède un emploi et ainsi participe officiellement au processus de production des biens et services qui forment l'ensemble de la valeur créée dans une période donnée. Les autres sont considérés comme assistés, comme inoccupés."

"Les uns triment pendant que les autres sont exclus."

Le dernier moyen proposé ici pour réduire le temps de travail, est d'inclure, dans le respect de la vie et de la santé de chacun, les personnes aujourd'hui exclues du monde du travail. On peut penser aux jeunes de plus de 16 ans, aux personnes âgées, etc.

  • 1. Travailler deux heures par jour, Le collectif Adret, Le Seuil, 1977
  • 2. a. b. Travailler une heure par jour, Bizi, Asphodèle éditions, 2010