Le travail, c'est la santé?

“[...] je suis abîmé par mon milieu. Naturellement, j'ai aussi le cancer ”
Fritz Zorn, Mars

"Le travail c'est la santé ; ne rien faire, c'est la conserver."
Henri Salvador

"La vie, la santé, l’amour sont précaires. pourquoi le travail échapperait-il à cette loi?"
Laurence Parisot, présidente du MEDEF, principal syndicat patronal.

Maladies du travail

Voici quelques extraits d'un communiqué de presse du Bureau International du Travail, du 24 mai 20021:

“[D'après les données du BIT,] 160 millions de travailleurs contractent chaque année une maladie professionnelle.

La première cause de décès sur le lieu de travail est le cancer, qui tue 640 000 travailleurs par an (32 pour cent des victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles); viennent ensuite les maladies circulatoires, qui sont à l'origine de 23 pour cent des décès, puis les accidents (19 pour cent) et les maladies transmissibles (17 pour cent). L'amiante à elle seule cause 100 000 décès chaque année.

Pire encore, d'après M. Takala, 12 000 des victimes sont des enfants qui travaillent dans des conditions dangereuses.

Plus de la moitié des accidents mortels, des lésions et des maladies professionnelles surviennent dans le secteur agricole, qui occupe plus de la moitié des travailleurs dans le monde. Les victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles sont particulièrement nombreuses dans les pays en développement où un grand nombre de travailleurs sont concentrés dans les activités primaires et les industries extractives comme l'agriculture, le bûcheronnage, la pêche et l'exploitation minière - qui font partie des secteurs les plus dangereux.

Dans les pays industrialisés, on relève une diminution sensible du nombre des lésions graves par suite de la modification structurelle de la nature du travail et des réelles améliorations apportées au lieu de travail pour le rendre plus sain et plus sûr, notamment en améliorant les premiers secours et les soins d'urgence qui sauvent des vies en cas d'accident.

L'évolution de la nature du travail a toutefois engendré de nouveaux risques: affections musculo-squelettiques, stress et problèmes psychologiques, réactions asthmatiques et allergiques, problèmes dus à une exposition à des agents dangereux et cancérigènes comme l'amiante, les rayonnements et les produits chimiques, etc.”

Toujours d'après les chiffres (conservateurs) du BIT, les maladies professionnelles tuaient en 2005 1,7 million de personnes par an, chiffre en augmentation.

“Les maladies professionnelles les plus courantes sont légion: cancers provoqués par une exposition à des substances dangereuses, affections musculo-squelettiques, maladies respiratoires, perte de l’audition, maladies circulatoires, maladies contagieuses causées par une exposition à des agents pathogènes, et bien d’autres encore. Dans beaucoup de pays industrialisés où le nombre des décès causés par un accident du travail a diminué, le nombre des décès causés par une maladie professionnelle, comme l’abestose, est lui, au contraire, en augmentation. A en croire cette évaluation, l’abestose serait à l’origine de 100 000 morts par an dans le monde ayant un rapport avec le travail. Parallèlement, rien que dans le secteur agricole, qui emploie à lui seul la moitié de la main-d’œuvre mondiale, et qui est le principal secteur d’activité économique de la plupart des pays sous-développés, on enregistrerait déjà près de 70 000 décès par an pour cause d'empoisonnement dû à l’usage de pesticides, sans compter les maladies non mortelles aiguës ou chroniques, encore plus nombreuses.” 2

“Le cancer de la société”

Le cancer est la première cause de mortalité liée au travail en Europe 3. Cependant, il est difficile d'estimer avec précision le nombre de cas puisque les études récentes ont tendance à sous-estimer les cancers d'origine professionnelle. Par exemple, elles ne prennent généralement pas en compte la totalité des carrières (importante pour la liste des expositions dangereuses).

Autre facteur d'invisibilité: au minimum un cas sur deux ne serait pas reconnu en tant que maladie professionnelle, d'après Sylvie Platel, chercheuse au Giscop4. « Ce qui prive de leurs droits les victimes ou leurs ayants droit et pèse sur la branche maladie de la Sécurité sociale, soulageant la branche AT-MP (accidents du travail et maladies professionnelles), laquelle est financée par les employeurs ! ». L'amiante 5 est à l'origine d'une augmentation du nombre de cancers reconnus, mais au détriment des cancers ayant d'autres origines, comme la polyexposition et les autres produits toxiques. Parfois, ce n'est pas une exposition dangereuse qui est en cause, mais les conditions de travail. Par exemple, des chercheurs ont récemment prouvé que le travail de nuit accroît le risque de cancer 6.

Par ailleurs, le cancer professionnel n'atteint pas uniformément les classes sociales:

  • “30% des ouvriers qualifiés sont ainsi exposés à des agents cancérigènes, et 22,5% des ouvriers non qualifiés, contre 11% des professions intermédiaires et 3% des cadres.” 3
  • “Chez les hommes, l’écart concernant la proportion de fumeurs est de l’ordre de 20% entre cadres et ouvriers. Mais l’excès de mortalité précoce par cancer chez les ouvriers par rapport aux cadres est de l’ordre de 200%.” 3

Selon M. Wauquiez (ministre des Affaires européennes en 2011), “l'assistanat est le cancer de la société”. Mais avec au-moins deux millions de Français (13,5% des salariés), notamment des salariés peu ou pas qualifiés, exposés sur leur lieu de travail à des substances cancérigènes, on serait tenté d'affirmer que le véritable cancer n'est pas l'assistanat mais le travail.

Les maladies du stress

En 2001, environ 180 millions de boîtes de tranquilisants, antidépresseurs et somnifères étaient vendues en France, championne du monde de foot, et en consommation de psychotropes (30% de plus qu'en 1995). Ces substances sont largement consommées par des personnes qui n'en ont pas besoin sur le plan médical, mais qui se sentent excessivement stressées et cherchent un moyen de s'en sortir. Elles sont parfois prescrites, par des médecins dont les trois quarts des consultations concernent des problèmes ayant un rapport avec le stress. Enfin, beaucoup de médecins du travail s'inquiètent du nombre croissant de salariés prenant régulièrement des médicaments ou des antidépresseurs, pour se soulager, ou parfois même pour accroître leur performance au travail.

Le stress est un phénomène majeur dans nos sociétés. Il est le produit de plusieurs facteurs, comme l'insécurité quotidienne, le manque de visibilité concernant notre avenir et la difficulté à subvenir à nos besoins de base, comme le logement par exemple. Mais le travail est une source importante de stress quotidien, pour ceux qui travaillent comme pour ceux qui ne travaillent pas. Ce stress est à la racine d'une grande partie des maladies professionnelles en France aujourd'hui: problèmes cardiaques, musculaires, mentaux... Le stress semble aussi avoir un rôle dans le développement du cancer, du tabagisme, et d'une longue liste de maladies psychosomatiques (chute de cheveux, acnée, maux de têtes, troubles digestifs, etc).

La pression au travail, exercée sur nous par les autres, par les “deadlines”, etc, nous pousse à répondre par un comportement agressif de résistance et de lutte face à cet environnement hostile. L'angoisse ou la colère tantôt s'expriment, tantôt sont refoulées, dans un corps entièrement sous tension. Cette tension corporelle permanente est un véritable danger pour la santé du système cardiovasculaire.

Ce ne serait pas si grave si le stress n'était pas autant valorisé en entreprise. Les comportements qui l'accompagnent, dynamisme, agressivité, compétitivité, état d'alerte permanent sont fortement appréciés par nos “supérieurs”, qui souvent les adoptent eux-mêmes. La reconnaissance par nos “pairs”, le plaisir de l'adrénaline circulant à flots peuvent aussi nous embarquer dans ces eaux dangereuses. Mais contrairement à certaines idées reçues, ce ne sont pas les professions “supérieures” qui sont le plus touchées par les maladies cardiaques. “Ce sont plutôt les individus qui, dans leur travail, sont à la fois soumis à une forte pression psychologique (la contrainte), mais ont aussi une très faible marge de manoeuvre (le contrôle).” 7

Les pathologies cardiaques sont légion, mais la première maladie professionnelle regroupe une multitude d'afflictions sous un même acronyme: les TMS, ou troubles musculo-squelettiques. Il s'agit des douleurs au dos (quasi-entièrement une maladie occidentale), des inflammations des articulations (poignets, coudes, genoux) et des tendinites. Les TMS représentent 70% des maladies professionnelles en France, et leur nombre augmente de 20% par an (ANACT, “Les troubles musculo-squelettiques au travail”, rapport 2010). Etonnamment, ces maladies se développent à grande vitesse, alors que nous travaillons de moins en moins en usine, et que les efforts physiques à fournir au travail sont en diminution. D'autant plus que, parallèlement, l'ergonomie au travail n'a cessé de progresser.

“L'intensification du travail avec une pression croissante du temps (“faire vite”), le manque de contrôle sur la tâche à réaliser, une faible satisfaction de son métier, un statut professionnel bas, sont les facteurs qui semblent souvent prépondérants dans l'apparition des TMS. Pour beaucoup de médecins du travail, il ne s'agit pas uniquement d'une maladie aux causes physiques, son origine est à trouver dans le contexte psychosocial du salarié: c'est la maladie des gestes et des tâches vides de tout sens et sans reconnaissance sociale.” 7

Le stress en entreprise crée une tension musculaire qui persiste encore longtemps après la fin de notre travail, et pendant les maigres pauses que nous parvenons à chiper. Cet état de contraction des muscles quasi-permanent dû au stress est un facteur d'explication supplémentaire du développement des TMS.

Contrairement aux maladies cardio-vasculaires et aux TMS, aucun résultat scientifique ne parvient à affirmer le rôle du stress dans l'apparition du cancer. Cependant, les recherches indiquent une action néfaste du stress sur le système immunitaire. Nous l'avons tou-te-s vécu, lors d'une période de stress important, nous tombons plus facilement malade. Or, lorsque notre système immunitaire est affaibli, notre organisme n'est plus capable de faire face à l'envahissement des cellules cancéreuses.

En parlant de cancer, combien d'employé-e-s se retrouvent à la pause pour fumer une clope? Celle-ci constitue une mauvaise solution, pour celui ou celle qui désire “déstresser” entre deux réunions. Le simple fait d'avoir une dépendance crée un stress supplémentaire, et les études montrent que les niveaux d'anxiété sont bien plus élevés chez les fumeurs que chez les non-fumeurs.

Enfin, évoquons ces maladies que nous connaissons tous, et qui nous paraissent comme un aspect normal de la vie humaine: perte de cheveux, pellicules, acnée, crises d'urticaire, eczéma, troubles digestifs, asthme, prise de poids, règles douloureuses, migraines, etc. Ce sont toutes des maladies psychosomatiques, c'est-à-dire que des facteurs psychologiques jouent un rôle dans leur apparition. Le stress est donc une cause importante, comme vous le signifiera votre médecin.

Mais nous ne pouvons pas tout mettre sur le dos du stress, la pollution par exemple participe activement au développement de l'asthme (qui est une maladie somatique). N'oublions pas que le problème n'est pas tant le stress, que le travail qui en est la cause. Nous pouvons essayer pendant longtemps de nous adapter au “monde professionnel”, mais à quel prix pour notre santé?

La malbouffe

En listant certaines des maladies somatiques liées au stress, nous avons cité les problèmes de surpoids. En effet, sans avoir l'explication scientifique, j'ai pu observer qu'à chaque fois que je rentre chez moi après une longue et stressante journée au travail, j'ai un besoin irrésistible de manger gras. Seul un kebab, un McCrocs, une pizza quatre fromages, ou autre orgie de gras industriel pourra me satisfaire.

D'autant plus que le midi, nous ne mangeons pas beaucoup en général. Pour certains, ce sera un jambon beurre, pour d'autres une salade ou un plat micro-ondé. Les plus chanceux mangeront un steak purée à la cantine. A moins de se casser la tirelire en mangeant à l'extérieur, lorsqu'on a cette chance. Quand au petit-déjeuner, nombre d'entre nous le sautent, par précipitation, pour ne pas arriver en retard au boulot.

Manger beaucoup le soir n'est pas ce qui se fait de mieux, surtout lorsqu'on mange gras. En ajoutant la bouffe compulsive et de réconfort, qu'on peut mettre sur le dos du stress et des problèmes quotidiens, on arrive à un régime source de prise de poids et de problèmes de santé divers: cardiaques, diabète, etc.

Un aspect extrême de la malnutrition est l'obésité. Celle-ci touche en premier lieu les populations pauvres. L'explication habituelle est que celles-ci ne sont pas éduquées, qu'elles mangent beaucoup trop, et qu'elles ne font pas de sport. Il est en effet de notoriété publique que les pauvres sont pauvres car ils sont fainéants et passent leur temps devant la télé à regarder L'île de la tentation. Hélas, la réalité n'est pas si caricaturale. Les prolétaires de 2011, qui triment dans les supermarchés et les centres d'appels vivent entre eux, dans des quartiers où les logements ont à peu près tous les mêmes prix, accessibles aux précaires. Pour s'alimenter dans ces quartiers, on n'a guère d'autre choix que les hypermarchés et les hard discounts. Les magasins bio seraient de toute façon hors de prix. Les hypermarchés hélas misent beaucoup plus sur la vente de plats précuisinés que sur la vente d'ingrédients de base. Or, la bouffe industrielle est merdique 8. Au point que le corps n'arrive pas à assimiler les éléments qu'elle contient, il n'arrive même pas à les évacuer. Alors, il les repousse à la périphérie du corps, sous la peau. C'est cela, l'obésité. Mais n'oublions pas de "Manger, bouger" 9. Surtout que les pauvres ne sont pas les seuls à consommer ce genre de produits toxiques, car une très grande partie des travailleurs est trop fatiguée pour cuisiner le soir, ou n'a pas le temps.

Les drogués du travail

La dépendance au travail n'est pas encore reconnue comme une maladie professionnelle, du moins pas partout. Au Japon, par exemple, le karoshi, ou “mort par surtravail” est reconnu, et la famille de la victime a droit à des indemnités de la part de l'employeur.

Il n'est pas trop risqué d'affirmer que la dépendance au travail est une maladie au même titre que la dépendance à l'alcool, à la cigarette, au jeu, au porno, etc.

Comment reconnaître les drogués? Habituellement, les workaholics sont des personnes pour qui la carrière passe avant leur vie familiale, voire leur santé. Ils passent le plus clair de leur temps à travailler, et ne peuvent pas s'arrêter.

Cette maladie, tout comme les autres, est à la fois cause et conséquence d'un tas d'autres maladies professionnelles, et ce chez des tas d'autres personnes.

En conclusion

“Le coût économique des accidents du travail et des maladies professionnelles s'accroît rapidement. Il est impossible de chiffrer la valeur d'une vie humaine (sic), mais si l'on en juge par les indemnités versées, 4 pour cent environ du produit intérieur brut (PIB) mondial disparaissent avec le coût des lésions professionnelles: absence des travailleurs malades, traitement des maladies, incapacité de travail et pensions de survivants.” 1

Les maladies professionnelles ont un coût économique élevé, ce qui oblige les dirigeants à faire face au problème. Une solution à ce tracas est donc d'améliorer les conditions de travail. Une autre solution est de réduire les indemnités maladies, comme vient de le proposer notre gouvernement 10.

“À ce bilan aggravé des victimes du travail, on se doit doit d’ajouter celles de la pollution industrielle et automobile ou de l’alcoolisme et de la toxicomanie induits par la misère du travail.” 11

Combien d'alcooliques à cause du boulot? Combien de cancers à cause des pesticides, et des téléphones portables 12?

Ces maladies sont constamment “détachées” du travail, comme si elles n'en étaient aucunement la conséquence. Comme si il était possible de rectifier le tir, en établissant de nouvelles normes pour l'utilisation du téléphone portable, par exemple, pour que tout aille mieux.

Quant aux maladies reconnues comme professionnelles, elles ne cesseront d'être perçues comme des petits soucis inévitables, justifiés par la nécessité économique nationale, ou par la noblesse et la supériorité morale de l'activité professionnelle.

Or, des pansements, des pilules, ne nous guériront jamais de la maladie du travail. A chaque fois, ce ne sera que partie remise. Combien de fois devront-nous souffrir, pour combien de temps, et surtout, pour quelle raison?

Un médecin compétent ne cherche pas uniquement à soulager les symptômes. Il soigne la maladie à la racine.

Si le travail est la racine de la quasi-totalité de nos maladies, alors cesser de travailler est parfaitement justifié et légitime.

  • 1. a. b. "Les accidents du travail et les maladies professionnelles font 2 millions de victimes chaque année", communiqué du BIT à lire en ligne ici
  • 2. "Le nombre des accidents du travail et des maladies professionnelles continue d’augmenter", Communiqué de presse conjoint OMS/Bureau international du Travail, à lire en ligne ici
  • 3. a. b. c. Cancers professionnels : quand le travail tue, Nolwenn Weiler, Bastamag.net (14 décembre 2010)
  • 4. Groupement d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelle (Giscop 93)
  • 5. "Les premières preuves de la toxicité de l'amiante sont apparues en France dès 1906. Mais il a fallu attendre 1997 pour que cette fibre minérale soit définitivement interdite. Ainsi, pendant plus de 90 ans, les autorités publiques, sous la pression des lobbies, se sont contentées "d'encadrer" l'usage de l'amiante. Bilan : 35 000 morts en France entre 1965 et 1995. D'ici à 2025, on s'attend encore à 100 000 décès." Mettons les toxiques hors la loi !, brochure de Greenpeace, avril 2006, p3.
  • 6. Le travail de nuit accroît le risque de cancer, Nolwenn Weiler, juin 2012, bastamag.net
  • 7. a. b. "Le Stress au travail", Patrick Légeron
  • 8. Des tas de sources existent sur le sujet. Pour commencer on pourra visionner le documentaire Notre Poison quotidien.
  • 9. "Vie de merde, bouffe de merde, corps de pauvres", Laurent Chambon, sur minorites.org
  • 10. "Haro sur les arrêts maladie!", Actuchômage
  • 11. L'Abolition du Travail de Bob Black
  • 12. "Les preuves scientifiques des dangers pour la santé de la téléphonie mobile - Le rapport « Bioinitiative »", en ligne ici chez les Robins des Toits