Prisons (1/6)
Violence et absurdité d'un destin tout tracé
"J’avais pris l’habitude de regarder autour de moi, d’observer ceux que je côtoyais dans la rue, dans le métro, au petit restaurant où je prenais mes repas du midi. Qu’avais-je vu ? Des gueules tristes, des regards fatigués, des individus usés par un travail mal payé, mais bien obligés de le faire pour survivre, ne pouvant s’offrir que le strict minimum. Des êtres condamnés à la médiocrité perpétuelle ; des êtres semblables par leur habillement et leurs problèmes financiers de fin de mois. Des êtres incapables de satisfaire leurs moindres désirs, condamnés à être des rêveurs permanents devant les vitrines de luxe et les agences de voyage. Des estomacs, clients attitrés du plat du jour et du petit verre de vin rouge ordinaire. Des êtres connaissant leur avenir puisque n'en ayant pas. Des robots exploités et fichés, respectueux des lois plus par peur que par honnêteté morale. Des soumis, des vaincus, des esclaves du petit matin. J'en faisais partie par obligation, mais je me sentais étranger à ces gens-là. Je n'acceptais pas que ma vie soit réglée d'avance ou décidée par d'autres."
Ces phrases sont celles de l'ancien ennemi public numéro un, Jacques Mesrine 1. Comme lui, combien de jeunes personnes, dégoûtées par le chemin résigné et sans surprise qu'ont pris leurs parents ont un jour décidé de goûter le fruit défendu, de vivre l'aventure illégale, ne serait-ce que par ennui, ou désespoir? Serait-ce si immoral de choisir la marginalité et la clandestinité dans une société aussi injuste, fondée sur l'exploitation des pauvres par les riches?
Souvent, ce n'est même pas le goût du risque, mais la nécessité qui pousse au crime. Dans une société de chômage de masse, d'exclusion, d'inégalité rampante, l'économie parallèle trouve un terrain fertile. Pour beaucoup d'entre nous, le choix se résume à deux options : chômage, interim, boulots merdiques et sous-payés, ou bien deal et cambriolages pour avoir suffisamment de fric pour acheter ses baskets, plutôt que de les voler.
Hélas, le crime mène très souvent à la mort, ou à la prison. Aujourd'hui, avec les sans-papiers, les toxicomanes, quelques fêlés, des bandits et des terroristes, les exclus du travail se retrouvent régulièrement derrière les barreaux. Loin de les réinsérer, l'isolement dans ces espaces infernaux où le droit n'existe plus mène vers deux issues difficilement évitables à moins d'être un surhomme : le suicide ou la récidive. Car dans le meilleur des cas, si l'ancien détenu n'est pas trop désocialisé et traumatisé par la prison, quel patron voudra bien de lui?
Bien sûr, tous les détenus ne sont pas des saints et les crimes graves existent bel et bien. Mais depuis leur création, le destin des prisons est intimement lié à celui du salariat, et il est permis de penser qu'aujourd'hui comme hier, nombre de prisonniers n'ont jamais mérité leur peine.
Bref historique du système carcéral >>
- 1. L'Instinct de Mort, Jacques Mesrine, 1977