Le Temps

Le temps du travail est un temps carcéral, réglé pour nous à l'avance.

Une alarme nous arrache du sommeil, en général tôt dans la matinée. Bien trop tôt. Puis nous nous laissons à peine le temps de manger et de nous laver, nous prenons les transports en commun, ou la voiture, avec cinq minutes de retard. En arrivant au travail, nous pointons, ou bien sommes obligés de dire bonjour à tout le monde, car dans certaines boîtes ce sont nos collègues qui surveillent les horaires. Puis à 11 heures, une pause de 5 minutes. Une heure de 13 à 14. Une pause de 10 minutes à 16 heures. Départ à 18 heures. Transports. Repas, télévision, dodo.

Réglés comme des horloges. Comme des machines. Les horaires souples font tout juste illusion.

Nous pourrions profiter de notre soirée, si seulement nous n'avions pas pourri notre journée au travail.

Nous pourrions profiter de notre weekend si seulement nous n'avions pas pourri notre semaine en bossant cinq jours.

Pourrons-nous seulement profiter de notre retraite?

Les vacances passent à la vitesse de l'éclair.

Et tant mieux, car les temps morts nous sont insupportables. Arrivés sur le quai, si le prochain métro ne passe que dans 5 minutes, quelle horreur. Heureusement, notre téléphone portable nous évitera l'angoisse de nous retrouver en tête à tête avec nous-même.

C'est ainsi que défilent les jours, les semaines, les années. De plus en plus vite. Jusqu'au jour où l'on se dit: "Mince! Une année vient de s'écouler, et je n'ai rien fait!".

Depuis quelques semaines, je ne travaille plus que deux jours par semaine. J'étais un peu paumé la première douzaine de jours, ne sachant que faire de ma vie. Puis, progressivement, on se rappelle qu'à l'origine, le temps n'est pas quelquechose que l'on subit.

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« Le courage consiste fondamentalement à tenir un point. Non seulement sur le moment même, mais dans la durée. C’est la question du temps. Une bonne partie de l’oppression contemporaine est une oppression sur le temps. Nous sommes contraints à un temps découpé, discontinu, dispersé, dans lequel la rapidité est un élément majeur. Ce temps n’est pas le temps du projet, mais celui de la consommation, du salariat. Le courage pourrait consister à essayer d’imposer une autre temporalité. À tenir des points contre vents et marées, dans une durée qui ne dépendra pas des critères du succès ou de l’échec imposés par le modèle de la société libérale. » 1

  • 1. De quoi Sarkozy est-il le nom ?, Alain Badiou, article publié dans L'Humanité du 6 novembre 2011.